mardi 14 janvier 2014

Bienvenue à bord

Je joue à un jeu très drôle en ce moment dans les rues équatoriennes.
Le but est de réussir à boire un expresso.

Les règles sont les suivantes:

1- je dois identifier une machine à expresso avant d'entrer dans l'établissement,

2- si l'identification est impossible, je dois demander si on sert des expresso (dit-on des expressi?),
3- le breuvage servi ne doit pas être d'emblée sucré,
4- en cas de présence d'un café filtre et malgré l'observation des 3 premières règles, je dois le boire jusqu'au bout. Y compris s'il est sucré. Surtout s'il est sucré... pour la beauté du geste,
5- Attention, règle primordiale: je dois éviter absolument les établissements de luxe et les grands hôtels.

Malheureusement, je perds souvent. Comme au terminal de bus de Cuenca ou pressé par le temps, je suis passé directement à la règle 4 en composant une jolie grimace.
J'ai arrêté de sucrer mon café, mon yaourt nature, mon thé et ma tisane il y a déjà quelques années et j'avoue que déguster aujourd'hui un café sucré est une épreuve que j'assimile à l'ingestion du cinquième makrout au miel.

La règle numéro 2 est complexe car elle implique que la personne qui travaille dans le café participe au jeu sans le savoir. Mais là, 2 situations sont possibles:

- la personne confond un expresso et un café-filtre (oui, je sais, c'est grave)
- la personne joue à un autre jeu: "j'arnaque le touriste". Et parfois avec un certain succès.

Hier apres-midi à Quito, en pleine partie, j'ai soudain identifié une machine. Excellent.
Afin de sécuriser l'issue du jeu, je m'approche et interroge la dame en insistant:
- "s'il vous plaît, vous servez des expresso n'est-ce-pas? Avec la machine là... sans sucre, sans lait, sans rien?"
- "Oui monsieur. Très bien, très bien, prenez une chaise"

Je me dirige donc vers une table en terrasse mais le garçon de café m'arrête, inquiet:
- "monsieur, vous êtes sûr que vous ne voulez pas un café américain?

Le piège était certes évident mais il faut être vigilant jusqu'au bout:
- "non, non, non, je veux un expresso, sans eau, sans lait, sans sucre"

Installé en terrasse, une jeune fille me sert enfin mon petit café serré que j'attends tout de même depuis quelques jours. Et en posant la délicate soucoupe soutenant la tasse couleur ivoire, elle me demande:
- "monsieur, vous êtes sûr que vous ne voulez pas de sucre?"
Et moi, déjà triomphant et fier de porter à mes lèvres cet amer nectar, je réponds avec panache:
- "non merci!"

On est tous le héros d'un autre...

L'histoire des mes cafés et thés servis en Amérique du sud est une liste étrange d'anecdotes saugrenues dont voici un extrait qui me revient en tête:

En décembre 2009, il est tôt et nous parcourons avec mes acolytes, en courant, le terminal de bus de la ville d'Arequipa au Pérou à la recherche d'un thé brûlant. 
Nos affaires sont déjà dans le bus à destination de Cabanaconde et celui-ci part dans 5 minutes. Une fois les verres isothermes remplis, couverts et en main, nous volons vers notre bus en faisant attention de ne rien renverser. 

Nous voilà donc en train de monter dans le bus, sereins et impatients de se réchauffer à la douceur de notre boisson. Mais les autres voyageurs nous regardent en souriant à mesure que nous arpentons le couloir à destination de nos places respectives. Soudain affables, les sourires de nos compères de voyage nous interloquent sans toutefois nous inquiéter.

Nous avons compris lorsque le bus a démarré et que les cahots si forts dus à une route truffée de nids d'autruche ont entraîné nos boissons hors de leurs verres vers le sol ou sur mon front...

Toute une vie trépidante anime les bus d'Amérique du sud. 
D'abord, les montées et descentes incessantes des voyageurs, encouragés par les cris du contrôleur, qui font qu'un "grandes lignes" peut se transformer en omnibus pendant 10 longues heures. 

Ensuite, les vendeurs ambulants. Tout à leur excitation, ils font parfois irruption si fort qu'ils réveillent la plupart des voyageurs. Ils vendent des chips de maïs, des cacahuètes, des glaces multicolores, de l'Inca-cola...

Fort heureusement, on a affaire aussi à des vendeurs d'un autre type. Ceux-ci, d'une voix grave et posée, ont un discours bien rodé et très pertinent digne parfois d'un promoteur de santé publique. Il s'agit de vendre des pilules pour le foie, des gouttes pour les yeux, des livres de recettes pour manger équilibré.

Mais le pire de tout et de loin, c'est le doux bruit strident des hauts parleurs qui diffusent une musique médiocre de boite de nuit pendant tout le trajet de chaque bus sur chaque route d'Amérique du sud. 
Ont-ils si peur du silence?

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Un écrivain à son apogée.... Encore encore encore!
Ébilie Chibilie