Et voilà, déjà fin août...je glisse lentement et mentalement vers le retour. Hier encore, je revois en mémoire cette aveuglante lumière à l'aéroport de San José au Costa Rica et les premières pensées qui me submergent: "c'est parti. Tu y es. Le lancement du voyage est officiel etc." Une foultitude de détails qui me prouvent que je suis très vite rentré dans cette aventure comme dirait un candidat de la télé-réalité.
Il y a un peu de cela lorsqu'on se propose de parcourir le monde. Une plongée dans un huis-clos intime, observé par de multiples caméras intérieures et commenté en temps réel par mon double, ce moi que j'ai retrouvé dès le premier jour et qui ne m'a pas quitté. Loin de la schizophrénie, je pense qu'il s'agit d'un dialogue fécond. J'ai n'ai finalement que très peu ressenti cette angoisse de la solitude. Voire jamais. Les rares moments de mal-être l'ont été pour de bien plus romantiques raisons...un seul être vous manque et la planète surpeuplée devient un désert repoussant inhabité d'êtres insignifiants et d'un froid sibérien.
Mais les rencontres, multiples, ont jalonné ce parcours très dense et léger à la fois. On n'est jamais seul quand on voyage seul...ni intérieurement ni dans son rapport aux autres. J'ai été tant de fois happé, sollicité, travaillé, submergé, amusé, instruit, bouleversé: c'est le devisement du monde...
Quelques statistiques pour prendre la mesure:
10 mois de voyage avec 9 pays visités parmi 4 régions mondiales: l'Amérique, l'Océanie, l'océan indien et enfin, terre de tous les mystères, là où l'homme s'est redressé pour entreprendre le premier voyage qui l'a conduit aux confins de notre belle planète, cette terre rouge aux ciels multicolores, ce continent de tous les superlatifs, j'ai nommé, l'Afrique!
Je crois qu'il était sage de finir par l'Afrique tant le choc, même pour un voyageur aguerri est brutal les premières heures sur ce continent mosaïque. Évidement, il est toujours possible de voyager "all inclusive" en se remettant aux bons soins des agences qui vendent les trésors de l'Afrique noire au prix fort. Mais ce n'est pas ma conception de la rencontre avec un pays, une région et ses habitants. Une seule image: celle de ces femmes qui, à quelques centaines de mètres de quelque capitale, la démarche saturée d'efforts, portent encore et toujours des sceaux en guise d'approvisionnement en eau potable. L'envie vous délaisse tout à fait de gaspiller cette ressource précieuse pour des millions de personnes encore confinés dans une réelle lutte quotidienne pour simplement manger et boire.
J'ai dormi dans 104 lieux différents. Parfois très difficilement comme dans ce bus entre Adelaïde et Melbourne en Australie. Parfois comme un bébé à l'hôtel de Zarcero au Costa Rica dans un silence et une obscurités absolus. J'ai dormi dans un aéroport de la Nouvelle-Zélande sous la férule d'un garde armé de sa condescendance et à même le sol, parqués avec mes compagnons d'infortune dans une pièce à l'abri des regards outrés. J'ai dormi dans pas mal de campings, quelques refuges de montagnes, beaucoup, beaucoup d'auberges pour baroudeurs où j'ai rencontré le pire et le meilleur de ce qui peut être appelé un voyageur du 21ème siècle. J'ai reçu quelques leçons de vie comme lors de cette discussion mémorable avec un jeune espagnol de 23 ans qui parcourait la planète à l'aide d'un petit sac et d'une tente. Ou celle de Jörg, un autrichien quadragénaire qui ayant parcouru l'Afrique, m'a expliqué à quel point il est difficile de changer les habitudes des africains, qu'il est impossible de leur poser une question frontale, qu'il faut plus faire comprendre que déclarer, qu'il nous faut déployer des trésors de patience et d'énergie, nous les voyageurs blancs (appelés partout "mzungus") pour obtenir ce que nous voulons et qui est à des années lumières de leurs préoccupations. Mais je dois souligner que malgré ce que je viens d'écrire plus haut, tout est possible en Afrique. Absolument tout. C'est seulement une question de patience. J'ai aussi croisé quelques personnes sages et éclairées qui m'ont, en miroir, donné une belle image de moi-même et du voyage que j'accomplissais.
J'ai honte de l'avouer mais l'empreinte carbone de mon voyage est un gouffre! Je devrai replanter la moitié de l'Amazonie si je dois expier tous mes péchés énergétiques. C'est peut être le seul regret, de n'avoir pas imaginé un circuit plus économe. La prochaine fois pour un tour du monde à la voile peut être...si d'ici là j'acquiers la voile et le talent de la manier ce qui fait déjà deux défis colossaux.
Je ne mesure pas encore tout à fait l'impact de cette longue échappée loin de mon quotidien. A peine les premiers souvenirs significatifs commencent à émerger. En effet, parmi la vase de la mémoire où se sédimentent les journées les unes sur les autres, parfois surgit un souvenir, comme un arbuste timide émergeant au matin sur une terre encore fraîche, ce souvenir qui m'aura définitivement changé: un expresso à Quito, un tortue marine au panama, une rivière limpide au Malawi, une couleur émouvante de ciel en Australie ou un regard fugace, une brève rencontre du visage de l'autre.
Lorsque je voyage, ma vie semble être entre parenthèses, mais là, ce sont ces 10 mois qui s'apprêtent à se transformer en rêve, en songe, dans un passé qui n'existe déjà plus que dans ma mémoire, après avoir sculpté chaque pensée de ma réalité présente. Décidément, le rapport au temps, notre temps d'humain, est une idée impénétrable.