vendredi 27 juin 2014

Des baobabs dans la brume

Comme toujours mais pas seulement en Afrique, le passage des frontieres a pied est un exercice fastidieux, longuet et peut preter a sourire. Mais il ouvre la porte a de si beaux paysages, que je suis parfois pret a toutes les contorsions, sac au dos et sourire aux levres.

Apres avoir pris un gros bus, un mini bus et une moto-taxi hurlante de son klaxon surpuissant et arpentant la ville en evitant les nids de poule et les passants, me voila a la frontiere entre le Mozambique et le Malawi, au beau milieu d'une nuee d'hommes me tendant des liasses de billets de banque. Il s'agit de grosses coupures de Kwachas sachant qu'environ un euro equivaut a 500 ! L'illusion de la richesse guette.

Je temporise, leur dis que j'aimerais bien mettre mon sac-a-dos sur le dos, verifie machinalement mon porte-monnaie et passeport et entreprend de changer mes Meticais (pluriel de Metical) en monnaie du Malawi.

Puis c'est le passage a la police pour se faire tamponner le sesame de sortie et enfin la traversee du no-man's-land surpeuple qui separe les deux pays!

Je ne decris pas le tumultueux cote Malawite ou des enormes camions font litteralement vibrer le sol mais je salue toutefois le sourire sympathique et accueillant des policiers qui n'exigent aucun visa a l'entree...fait rare pour etre souligne. Evidemment les policiers n'y sont pour rien. La politique du Malawi encouage le tourisme et la ou un visa occupe une pleine page du passeport et coute 75 euros en cash a l'entree au Mozambique, ici rien de tout cela, on paye en sourires, en hello, how are you et autres politesses sinceres.

La route pour arriver a Blantyre est encore longue mais une fois partis (j'ai attendu ce moment pendant une heure le temps que le mini-bus se remplisse en discutant de foot, buvant du fanta et mangeant de bons beignets) forts de notre mini-bus rutilant de crasse, le spectacle en haute-definition offert a travers les vitres est exceptionnel.

Des successions de lignes montagneuses tracent de delicates lignes brumeuses au loin. Se detachent parfois quelques pics herisses de cedres et de baobabs centenaires et partout ce paysage unique couleur tabac tachete de multiples verts. Un peu jaloux, le soleil declinera de longues heures durant beignant le tableau de roses et oranges delicats, quel romantique celui-ci...

Mais le roi, la sentinelle, le veritable axe de la terre, est le Baobab. C'est une creature vraiment magnifique et reconnaissable parmi mille (par qui?). Son corps dodu est brillant, il donne naissance a des branches stylisees et elegantes. Son allure est majestueuse et parfois, son tronc est si large que je n'ose soupconner son age multi-centenaire...

samedi 21 juin 2014

Chroniques d'Afrique

Ce matin-la, le reveil fut difficile. Mon corps etait endolori de courbatures suite a une journee sur un Zodiac affrontant les vagues d'une mer formee afin de rejoindre des sites de plongee dans la baie de Tofo dans l'ocean Indien.

D'ailleurs une fois les moteurs coupes, le temps de l'equipement etait souvent synonyme de nausee et de vomissements dus a un roulis et a un tangage dignes de l'epoque des yeyes!
Je n'ai pu apercevoir aucune Manta, aucun Requin, aucune Baleine comme le prevoit pourtant la reputation des sites "Kingfisher" et "Manta Reef". Une belle journee neanmoins.

Bref, 6h sonnent, il est temps de partir par un magnifique matin d'Afrique, doux et brumeux. Au village, le Chapa (mini-bus local mais il fait le maximum: 16 personnes au lieu de 9, des bagages, des fagots, des Jerricanes, des chevres et des poules sur le toit) demarre sans moi, au loin. Aussitot tous les hommes presents le sifflent et miraculeusement il s'arrete. On me demande le triple du prix habituel mais je ne discute pas, il s'agit d'un euro 50.

Le trajet est rapide jusqu'a Inhambane. Depuis le terminal au centre de la ville, je rejoins le quai pour embarquer dans le "gros bateau", les petits etant de fragiles embarcations ou s'entassent 60 personnes au ras de l'eau. La baie est d'huile. La lumiere est magnifique a cette heure de la journee, dans quelques minutes, il fera deja trop chaud pour rester au soleil. 

En remontant le quai de l'autre cote de la baie a Maxixe (prononcer Machiche), je demande a quelques personnes ou se situe le point de depart du gros bus pour Vilankulos, station balneaire a 350 km au nord. Les differentes reponses sont tellement contradictoires que je decide de prendre position au carrefour de la route principale Nord-Sud et d'attendre patiemment ce qui se presentera.

J'ai a peine le temps de poser mon gros sac-a-dos qu'un garcon, interpelle plus tot par moi-meme me siffle. Il a vu un gros bus bleu flambant neuf sortir des rues de la ville, se dirigeant vers moi. Arret, discussion et je monte a bord parmi les cartons, les ananas qui jonchent le sol (pour les douaniers a la frontiere du Zimbabwe) et les sacs en plastique.

Je suis a present assis derriere le conducteur, Eric, m'embauche comme garcon de compagnie et entreprend de "me discuter" dans un anglais parfait exprime par un accent africain tres elegant. Il ressemble a Seal le chanteur: meme yeux, meme taille avec toutefois un embonpoint assez rare puisque typiquement feminin. Il m'interroge sur mes plans. Et je lui confie qu'apres Vilankulos que je n'ai pas vraiment envie de connaitre, j'envisage de rejoindre Chimoio dans les montagnes.

- "mais je vais a Chimoio!" crie-t-il.

L'occasion est trop belle et ce pour au moins 3 raisons:
- La premiere est secondaire et concerne le confort. Voyager 10h sans pouvoir bouger dans un vacarme assourdissant et suivant les montees et descentes incessantes des voyageurs rythmees par un receveur survolte et criant apres chacun parfois avec violence, est une vraie epreuve,

- J'evite Vilankulos et ses charmes hors de prix. Et puis la montagne m'appelle deja et je ne peux attendre,

- La troisieme raison et probablement la plus convaincante est l'intuition de pouvoir passer une zone de conflit dans des conditions optimales puisque jusqu'a present, la journee a plutot superbement commence.

A ce moment precis du recit, je dois faire une parenthese concernant la situation dans la province de Sofala et plus generalement au Mozambique depuis l'independance de l'occupation Portugaise. En septembre 1974, les accords de Lusaka disposent que le Mozambique devient independant et le controle du pays est confie a la FRELIMO, une organisation de liberation qui en reaction a l'escalade constante de violence precedant l'independance, s'est radicalisee et constituait ainsi la seule issue evidente pour le Portugal dans le processus de transfert de pouvoir.

Une fois l'independance acquise, un mouvement conccurent a commence de se manifester en contestant la main-mise "illegitime" de la FRELIMO. Ce mouvement est la RENAMO (mouvement de resistance nationale) basee au Zimbabwe. Cette lutte naissante a donne suite a une guerre civile qui a dure jusqu'en 1992, date a laquelle de nouveaux accords ont ete signes. Des temps de relative stabilite ont permis au pays de se relever de cette periode mortifere.

Pourtant la rivalite entre la RENAMO et la FRELIMO (cette derniere choisie legalement par des elections populaires transparentes, successives) va continuer a empoisonner la vie de la province de Sofala, region qui abrite le corridor historique de communication entre le Zimbabwe et l'ocean, hautement strategique. Aujourd'hui donc, des attaques ponctuelles ont parfois lieu sur la route numero 1 entre le fleuve Bizu et Muxungue. 

C'est avec cette idee en tete que j'ai tente d'obtenir des informations sur la securite de la circulation dans cette zone les jours precedants mon depart de Tofo vers Chimoio. La plupart des locaux etaient assez confiants et rassurants. Toutefois voici le message poste par le ministere des affaires etrangeres Francais sur le site du conseil aux voyageurs concernant le Mozambique en date du 5 juin 2014:

Dernière minute


Regain de tension dans la province de Sofala

De nouvelles attaques, revendiquées par la RENAMO (parti d’opposition et ancien mouvement de guerilla), sont signalées depuis le 2 juin 2014 sur la route nationale 1 dans la région de Muxúnguè (province de Sofala). Le bilan fait état de plusieurs tués et blessés, dont des civils. La RENAMO a annoncé la reprise des hostilités, après un mois de cessez-le-feu consécutif au recensement électoral d’Afonso DHLAKAMA. Des combats entre les forces de la RENAMO et les forces gouvernementales ont en outre régulièrement lieu dans le district de Gorongosa.

Aussi, les recommandations qui figurent dans la rubrique "Sécurité" de la présente fiche "Conseils aux voyageurs" demeurent d’actualité : il reste déconseillé, sauf raison impérative, de circuler par la route dans la province de Sofala, à l’exception de la ville de Beira, et en particulier de circuler sur la route nationale (EN1) sur le tronçon entre le fleuve Save et la ville de Muxúnguè. Les déplacements dans cette zone continuent à être opérés sous escorte militaire et policière.

 Ma raison imperative a moi est que je dois atteindre la Tanzanie via le Malawi. Non coute que coute. Mais la situation semblait s'etre, vue du sud, calmee depuis ce funeste 2 juin...

Nous roulons a present. Notre objectif est d'atteindre le pont sur le fleuve Bizu avant que le convoi ne quitte la zone en direction du nord. Nous reussissons malgre de multiples arrets a des barages de la police ou des douanes, rencontres qui se soldent toujours par la meme issue: le chauffeur confie quelques billets a l'importun qui visait exactement cela en arretant au hasard de son gout les vehicules. 

Malheureusement la corruption des forces de l'ordre atteint un degre hallucinant au Mozambique si bien que la population evite soigneusement d'avoir recours aux services de ceux qui sont censes les proteger! Mais un tel comportement est explique par des soldes miserables et conditions de travail deplorables. Et detenir une voiture au Mozambique est un luxe. Alors l'argent doit circuler, c'est ainsi.

Nous arrivons au pont. Nous nous engageons parmi les camions et les voitures encadres par un char leger et quelques vehicules de police. Paradoxalement, je suis assez detendu bien qu'une peur diffuse me rappelle parfois que la situation que je vis actuellement est pratiquement assez dangereuse et que des tirs peuvent retentir a tout moment.

Nous croisons le long de la route des soldats esseules, armes au poing, hagards et harasses par la chaleur. Je pense a ces hommes parfois tres jeunes (ce sont souvent les plus dignes et habilles impecablement) qui n'ont d'autre issue que de pacifier cette terre de violence historique la ou moi-meme, je ne fais que passer, abrite derriere les vitres fumees mais derrisoire protection d'un car chinois conduit par un Mozambicain tres pieux.

En effet, ce dernier a entonne regulierement des prieres en demandant aux autres passagers de lui repondre. Ce predicateur ambulant a etabli que grace a dieu, nous avons reussi a passer le danger, grace a nos prieres et notre foi en l'eternel, nous avons ete proteges de l'oeuvre du malin. En scandant son prechi-precha, il roule vite, depasse sans menagement les camions et conserve ses pleins phares face au conducteur qui aura eu l'outrecuidance de conserver les siens plus que de raison avant le croisement.

Soudain Inchope, ville-etape. Nous faisons une pause repas puis repartons vers Chimoio ou j'arrive a minuit avec pour ultime mission de trouver une auberge reperee plus tot dans mon guide. Avec l'aide d'un local qui m'accompagne, je trouverai le "Pink Papaya" qui est tout sauf un bar interlope qui sert des alcools frelates autour d'une piste ou se desarticulent des naiades encore engourides par la nuit qui ne fait que commencer.

Non, Pink Papaya est une auberge pour voyageurs en sacs-a-dos tenue par deux allemands tres gentils. Ils me confieront le lendemain que ma chance fut reelle car les convois sont attaques quotidiennement. Il y a deux jours, un de leurs hotes a meme rapporte avoir voyage en compagnie d'une femme qui sera blessee a la jambe par une balle perdue lors d'un assaut rebelle.

Ce recit ne serait pas complet sans quelque assurance apportee a mes proches et ma famille. Je leur dis donc que la zone de danger est a present derriere moi et c'est le coeur leger et le bagage mince que je trace ma route a travers le nord-ouest du Mozambique puis le Malawi ou les habitants sont, me dit-on, tres gentils et les payages a couper le souffle.

mercredi 18 juin 2014

Le port de Maputo

L'arrivee au port. Une grille puis un officier aux yeux profonds qui me salut et me dit: "pas de photos". Je le remercierai plus tard.

4 bateaux, voiles affalees et amarres les uns aux autres. L'un des 4 est pourvu d'un moteur interieur.
Leurs noms: The best number 1 (!); Brazil 2010 (4 ans de retard tout de meme) et Madalena.

Un monde s'anime devant moi:
Un feu qu'on allume sur The best number 1;
Un frigo qu'on charge depuis le quai;
Un poisson qu'on nettoie. Celui qui le decoupe se pique avec le bout d'une nageoire;
Un enfant et son pere sont assis sur le pont de Madalena, au soleil;
Des paquets blancs sont poses partout;
On passe d'un bateau a l'autre sans raison apparente; On s'appelle, on se parle, on se crie;
Certains sont occupes, d'autres oisifs et obsevent.

Les couleurs: 

bleu delave en haut pour le ciel et en bas pour l'eau; 
Vert, jaune, rouge, bleu et marron pour les bateaux. 
Les mats ont leurs peintures ecaillees.
Les tiges, tres longues sont peintes en damiers
Des jerricanes sales partout. Leurs bouchons sont entoures de plastique noir.
Les cordages sont gris.

Un homme a moitie plonge dans la cale de brazil 2010 interpelle les autres. Il rit et semble raconter une anecdote. Un autre homme portant le numero 44 d'une equipe virtuelle est prepose au feu. La fumee qui se degage ajoute une couche de brume a ce tableau tres vite balayee par le vent.
Un troisieme homme rythme des paroles par des applaudissements vifs.

A present que je suis assis sur les marches du quai, l'homme et son fils m'observent. Leurs tetes balayent le paysage mais leurs yeux me fixent. Lorsque je les regarde avec insistance, l'adulte dit a l'enfant que je les ai remarque. Leur bateau est amarre a un autre qui lui-meme est attache au quai.

Ces voiliers en bois ressemblent a a des portes-stylo de luxe poses sur un bureau.
C'est une tige de taille consequente, l'antenne, fixee au devant et flechie vers l'arriere qui confere a ces voiliers cette allure de greement latin. Une multitude d'objets jonchent les ponts, des jerricanes jadis blancs aux bouchons noirs, des sacs blancs dodus, un frigo fixe au mat, debout et encore emballe, des cordages defilent partout. Vieux et ellimes, ils fixent chacun un objet a un autre. Certains sont tendus, d'autres enroules. La plupart sont gris.

Soudain, l'un des hommes descend a l'interieur de l'un des esquifs. On ne voit plus que la moitie superieure de son corps et il entreprend alors d'interpeller ses collegues en parlant a tue-tete. Il ressort et l'un des hommes lui repond en scandant chacun de ses mots par un applaudissement bref.

Le vent souffle. Un vent frais mais humide.
Et le soleil decline.

vendredi 13 juin 2014

Massa de Peixe

Massa Com Lullas
Massa Com Camarones
Massa De Peixe
...

Un tableau crasseux est installe en hauteur et sur le cote de ce petit restaurant. Je le contemple pour y dechiffrer les aliments qui se cachent derriere ces mots mysterieux.

Je suis venu me perdre au marche de Maputo, capitale du Mozambique. J'ai trouve un restaurant, enfin une gargotte installee en bordure de rue. Des locaux y mangent et c'est bon signe. Ils sont nombreux et bruyants, ils plaisantent et s'interpellent une biere a la main. Et a en juger par la moyenne d'age et postulant que les personnes agees sont plutot a la recherche de la qualite, j'opte pour manger ici.

La serveuse est Mozambiquaine. Elle est timide et me regarde de biais et n'ose pas m'adresser la parole. Moi non plus. Pour la premiere fois depuis tres longtemps, je suis plonge dans un pays dont je ne maitrise pas la langue. Je dois me debrouiller avec les "bom dia" et "o brigado" pioches dans ma memoire. Lorsque je tente quelques mots pour expliquer que je veux manger (ce dont la serveuse se doutait), ma bouche formule des mots espagnols tordus a la maniere portugaise. A ce moment tres precis, je rends en mon for interieur un hommage a mon pote Didier qui tente (en s'ameliorant) depuis des annees de parler l'espagnol et l'anglais et qui doit connaitre parfaitement ce sentiment d'impuissance face a cet acte si familier du langage. Je me souviens encore de nos premieres annees de voyage ou pour seul bagage linguistique, il possedait en tout et pour tout 4 mots: Hello, La Cuenta Please, Pollo (qu'il prononce polo). Didier, tu es mon ami, mon frere, je te comprends a present!

Je me rends compte aussi que l'immersion est tres efficace car la retraite n'est pas possible. Manger est un besoin vital et a moins d'utiliser les mains, je me dois de depasser ce mur invisible qui m'entoure et tenter d'etablir des liens faits de mots avec les autochtones.

Je finis par m'attabler et commence a scruter le menu affiche sur le mur. Derriere la serveuse, se tient un jeune homme. Il a les yeux brides et semble diriger les operations. Serais-je dans un resto Chinois? Je suis tente de choisir au hasard puisque je ne comprends quasiment rien au menu. Je me decide donc pour un "Massa de Peixe" (peixe = poisson me dis-je) et une biere. Une Mac-Mahon locale.

Le plat arrive enfin et le "Massa" sont des nouilles. Bingo, il s'agit bien d'un resto chinois deguise en resto local, l'illusion est totale. Decidemment, le syncretisme culinaire des chinois est incroyablement efficace.